Face à la lutte contre les trafics financiers et la criminalité organisée, Gérald Darmanin propose une mesure radicale : la fin de l’argent liquide. Mais cette suggestion, aussi spectaculaire soit-elle, soulève une série de problèmes juridiques, économiques et sociaux qui rendent sa mise en œuvre peu réaliste.
La proposition de Darmanin : une solution choc pour contrer les trafics
Jeudi dernier, lors de son audition devant la commission d’enquête sur la délinquance financière, le ministre de l’Intérieur a avancé une piste pour affaiblir les réseaux illégaux : supprimer la monnaie fiduciaire. L’idée repose sur une logique simple : en rendant les transactions traçables, on compliquerait considérablement le fonctionnement des trafiquants.
En supprimant les espèces, l’objectif serait donc de tarir les circuits financiers opaques.
Des conséquences lourdes pour les citoyens et les petits commerces
Si la mesure pourrait gêner certains réseaux criminels, elle aurait aussi un impact majeur sur la vie quotidienne. De nombreux Français utilisent encore le liquide pour leurs achats courants. Selon la Banque de France, « la moitié des transactions aux points de vente » sont toujours réalisées en espèces.
Ce mode de paiement reste très utilisé pour les petits montants, notamment dans les zones rurales, les marchés, ou les commerces de proximité. Et l’attachement des Français à ce moyen de paiement reste fort. D’après le baromètre Ifop/Monnaie de Paris 2024, « 80 % des Français se disent très attachés aux espèces ».
Le cash, symbole de confiance et d’autonomie
Au-delà de l’usage, l’argent liquide joue un rôle social important. Marc Schwartz, président de la Monnaie de Paris, rappelle que « par les échanges qu’il permet », par « son caractère matériel, tangible », le cash est un « instrument de lien social au quotidien ». Et dans des périodes tendues, « le cash a confirmé son rôle de valeur refuge et de stabilisateur ».
Le liquide est aussi un rempart contre certaines fragilités du numérique : pannes, exclusion digitale, protection de la vie privée. Il permet de payer sans connexion, sans données partagées, et sans intermédiaire bancaire.
Des résistances syndicales et sociales déjà anciennes
L’idée d’une société sans espèces n’est pas nouvelle. Dès 2021, le syndicat Sud Solidaires dénonçait « le plan de réduction de circulation des espèces, engagé en 2014 par l’État », craignant une « politique du zéro cash » menaçant les populations les plus précaires. Le lancement de l’euro numérique suscite également des inquiétudes sur une possible fracture sociale renforcée.
Le droit européen comme ultime rempart
Même si l’exécutif français souhaitait interdire le liquide, le cadre européen l’en empêche. Le règlement 974/98 de l’Union européenne est formel : « la BCE et les banques centrales des États membres participants mettent en circulation les billets libellés en euros […] seuls à avoir cours légal ».
Autrement dit, les billets et pièces en euros doivent être acceptés comme moyens de paiement dans tous les pays membres, y compris la France. C’est la Banque de France qui veille à cette obligation, rappelant que « le paiement en espèces est possible sur tout le territoire français ». En cas de refus injustifié, les commerçants s’exposent à « des amendes d’un montant forfaitaire de 150 euros ».